Le chêne et la plante
03.04.13
Mais peut-être que je me trompe
et sans doute je ne vais pas assez
loin
Catégorie, donc : Tentatives
« L'hydre de mes racines repousse en été »
(Emblèmes violents – II – le liseron)
« Appelle-moi
du nom de ce roseau
qui ne se rompt pas au vent
mais sous la pression
inévitable
de ton pas »
(fausse piste pour « la plante »)
Il s'est agi souvent de définir si je suis chêne ou roseau, si je casse ou plie ; mais je porte en héritage l'espoir de ma grand-mère, casanière, apeurée de tout, avec son sommeil difficile – qui me dit que moi, du moins, j'ai cette faculté d'adaptation dont elle a toujours manqué. L'héritage demande à n'être pas déçu. Mais non : je cultive le flegme, et cependant me romps tout à coup.
Je disais que ces effondrements irréversibles me faisaient mauvaise, et j'en concevais la fierté du « phénomène » : je pensais « je me sauve », et je repoussais ailleurs pour quelques années, jusqu'à ce que ma trop grande taille, à nouveau, ne me confronte au vent tempête.
C'est fini, cette fois, « au vent mauvais » trouve son sens que je ne galvaude plus. J'ai coupé, quelque part, l'orgueil d'être un chêne si vivace, renaissant si bien que je pouvais me croire roseau inoffensif. D'avoir posé l'image en octobre m'interdit maintenant de parler d'autre chose, et c'est bien. J'avais voulu être souple, et, heureusement, n'y étais pas parvenue, la terre était trop pauvre pour que je m'y puisse maintenir.
Emblèmes violents – I – le chêne
Comme un bâton enfin me voilà dure et sourde
et en rêve je m'use – puis c'est en forgeant
qu'on devient forgeron – tapons l'enclume est lourde
mais je suis plus pesante – si m'en vais rageant
On ne m'y prendrait plus à jouer le roseau
Dès lors je tiens ou casse – et le chant de la flûte
que Midas a taillée dans ma peau au ciseau
ne dévoilera rien du secret de ma lutte
Et je suis le piquet la masse le brandon
le manche des cognées et l'appeau dérisoire
Vite – comme la sève sèche – l'abandon
m'est doux de chaque forme – j'écoute ma Moire
Être chêne, cela signifiait alors me dresser contre, et il aurait fallu pour m'entamer dans ma révolte une hache qu'il n'avait pas. Tout au plus alors a-t-on fait de mon bois une flûte, mais une flûte bien à moi et qui chantait mon chant et non le sien, la confidence du sien dans mon tronc.
Il faut m'avouer chêne, et demander par là à ce que l'on m'entoure d'un milieu qui me garde.
Le végétal est tout sauf la force tranquille. Je le sais pour avoir, d'instinct, peur et dégoût de la nature : le végétal meurt, et il promet la mort à tous ses stades, dans ce microcosme pour nous étranger qu'il surmonte, nids d'insectes, humus. La nature exulte, c'est sensible, de s'y résumer en peu de traits : une tige, quelques feuilles et propriétés adjacentes, et la voilà déjà figurée très exacte, de la pousse au déclin jusqu'à la dispersion fertile.
Il ne m'est pas possible d'en revenir à la métaphore florale sans en passer par cet effroi-là, la fleur (liseron-mauvaise-herbe et myosotis-forget-me-not) sert donc à dire l'effroi. La plante simplifie le processus, parce qu'elle ne prétend pas à l'ornement, qu'elle se différencie moins des autres de son espèce – interchangeable et verte plus longtemps sur l'année, de sorte qu'on ne sait jamais si telle est morte et remplacée ou la même toujours.
La plante allégorique est grasse – elle retient l'eau dans son épaisseur – et d'un vert fort mais intermédiaire ; sa forme est la plus simple possible. C'est pour sa qualité tactile qu'elle s'impose : elle se touche, et avec la paume de la main aussi, bien à plat la paume, la vraie caresse n'étant pas effleurement mais choix puissant du contact. La plante a une robustesse visible qui attire, autant que sa fragilité que l'on préfère toujours mettre de côté – tuer une plante, je l'ai fait (ce bambou, le cactus enrubanné, l'étrange chose de Des Esseintes, Samson non repoussé, Mégara et Milady, je les récite tous), est douloureux. Allégoriser mon corps de désir sous forme végétale, c'est en dire le danger spéculaire, puisque la plante est image d'une invisible violence qui concerne ceux qui le voient ; c'est le dire à la fois oublieux et propre à toutes marques, paradoxe de la plante qu'il faut traiter franchement pour qu'elle emporte pour ensuite quelque chose de soi – nous écrivions ainsi nos noms au couteau sur des coloquintes et en voyions ensuite la forme adulte, où la cicatrice du nom s'était étirée en proportion.
La plante aussi se rompt, d'un coup de talon ; son espèce – car elle a beau parfois porter un prénom unique, elle est plusieurs et renaissante – la continue, repartie de zéro, avec sa mémoire obscure.
Ce n'est plus de l'orgueil que j'ai à me faire vivre allégoriquement sous la forme végétale ; dans le fond, si je suis plante ou chêne, c'est pour la peur de ma sympathie profonde avec la plante et le chêne.
(tbc)