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Débrouillage


Spéléologie

31.03.2017

 

Je ne parviens plus à créer des espaces riches. Plus justement, je maîtrise encore ce tour d'esprit et de corps qui donne à un fragment de lieu une vocation unique : je m'assieds ici pour faire telle chose, et je ne peux faire cette chose qu'ici, et je ne peux, ici, que faire cette chose ; cela tient du rituel : j'assigne au lieu une fonction et n'ai plus qu'à m'y installer pour que tout se déroule, magiquement, parce que l'autorité dévolue à ce lieu me tient et que je ne peux pas m'y soustraire. Mais je ne sais plus me satisfaire de ce que cela donne.

 

Ce que je fais avec mon bureau et avec le salon - la cuisine est bizarrement hostile et la chambre non-fumeur - pare en fait au plus pressé, et le plus pressé, c'est ma fatigue et mon refus viscéral d'être productive. Cette fatigue et ce refus sont absolus. Tout ce que je peux faire, c'est y succomber comme à un vice : totalement, et en appréciant mon excès, ou contourner l'obstacle. Cela aussi, je sais encore le faire : prendre à revers ma petite tête butée, mon corps rétif au moindre mouvement. J'ai une grande habitude de cet exercice, et je sais me sonder moi-même pour trouver les zones plus friables dans lesquelles il est possible de louvoyer. L'effort à fournir est inquiétant, mais, de la même façon que j'ai réussi à être intelligente en Russie, je peux écrire aujourd'hui des lettres de motivation ou réviser pour un concours.

 

 

 

Mais la plupart des nids que je me fabrique ne me servent qu'à dormir.

Je n'écris plus, parce que ce seraient ces mêmes aboiements secs et plaintifs qui me font horreur depuis certains passages des Lettres. (J'ai donc honte de ce préambule et honte de dire que j'en ai honte.)

J'hiberne, et ce n'est pas bien, d'hiberner si longtemps.

Et je reviens ici, parce que ce lieu-ci n'est finalement pas qu'une strate de temps, c'est l'endroit de ma langue ; et j'ai besoin de faire quelque part ces phrases trop longues et trop contournées et de fourrer quelque part tous ces "je" dont personne ne mérite de se faire bombarder. Puis ma pudeur est respectée : le lieu est désert. (Je dis cela, mais si j'y pense, A. y pense aussi - bonjour, A.) C'est tant mieux, parce qu'il me faudra quelques temps pour rééduquer mon ethos, qui a bien besoin qu'on lui rappelle cette règle simple : soit on geint, soit on est orgueilleux de sa personne, sans quoi on est détestable. 

 

 


 

 

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P.B.

Printemps 2010

 


31/03/2017
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Kaléidoscopes

13.02.13

 

J'aime ce jeu qu'est la recherche d'appartement - jeu de l'imagination, puis jeu au sens mécanique du terme (une fois n'est pas coutume), entre les différentes possibilités. Pendant un très court instant, quelques jours tout au plus, je ne sais pas à quoi ressemblera la projection de moi qu'est le foyer, je prends plaisir à ne rien fixer, à me représenter vivant çà ou là, à sentir cette belle dérive ; elle est belle parce qu'elle ne tient pas qu'à moi, mais bien plutôt à ce grand mérite des lieux que j'imagine ou visite d'être vivables. 

Il faut toujours rendre justice au lieux, comme il faut toujours rendre justice à l'autre. 

 

Il y a trop à écrire. Je me laisse couler - cette manière de se définir une fois pour toute que j'aime à éviter, pour une fois, dans ma quête d'un lieu, est sans doute, pour moi, le principal écueil de l'écriture ; je n'écris donc pas, depuis une semaine que tout se précipite. 

Et tout ce qui pourtant me reste au bord des lèvres ! La vérité, c'est que pour être à la hauteur de tout cela, tout cela qui survient, il faudrait prendre des notes en permanence ; mais j'ai peur d'être ce touriste imbécile qui, au lieu de jouir du lieu, au lieu de laisser l'événement se produire, prend des photographies. J'avais l'obsession, dans la liesse de ces derniers feux-là, de ce qui me resterait, des détails que je n'oublierais pas, et que je ne savais pas reconnaître comme ceux qui survivraient à l'instant. Je n'ai pas sorti mon carnet une seule fois. 

J'ai écrit ailleurs, et pour R. aussi, vouloir me perdre dans le flou, et pourtant ça n'est plus la même chose. Je sanglote même pareillement, et le sanglot concentre toujours la même chose infiniment pure que Fouad et moi nommions franchement "émotion" ; ce que nous entendions par là, c'était l'intensité de ce qui nous remuait ("Rührung"). Oh cette époque où il nous suffisait de vivre fort, où nous ne désirions que de vivre à la limite de nos capacités en la matière, où par le corps - le tremblement, les sanglots, la nausée - nous ne cherchions pas moins qu'une forme d'absolu. Et je n'en suis plus là, puisqu'il s'agit uniquement de partir en sachant où je vais et ce que, pour cela, je quitte. 

(J'ai cristallisé ailleurs, avec Fouad aussi, je cristallise ailleurs, c'est cette même loi de la bataille de Marathon. Ce dont tu te souviens n'est pas, à mon sens, le plus important, et tu oublies au contraire ce qui fait que je t'aime toujours. Le mérite de Fouad, c'est de me montrer que la réciproque est vraie : qu'il y a chez moi quelque chose qui lui manque et que j'ai laissé sans remords - que cette chaleur incroyable et dense de la rue du Marché et de celle de Zürich que plus rien ne m'offre depuis n'est pas l'unique moment plein de notre longue relation et qu'il tient, lui, à autre chose. Si le diable est dans les détails, Dieu doit être dans les réciproques.)

 

Il y a cet appartement dont je vois d'ici la fenêtre, de l'autre côté de la rue, celui de la Robertsau (beaux paysages), celui de cette rue où malgré tout rien, je crois, ne se sera passé, et tous ceux qui, dans les jours prochains, sortiront tout à coup de l'indistinction urbaine. Il y a des promesses : celles dont je choisis de ne pas tenir compte, docile que je suis, et celle que je choisis de prendre à la lettre, par amour pour vous. 


14/02/2014
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Faux détails

A l'inverse des photographies fascinées - celle du regard fixe pris au détail, à la rare couleur et à la ligne - ce sont des photographies d'amour que je me trouve avoir prises, de loin en loin et ce soir. 

 

Savoir que je pars, et sans désaccord aucun, c'est la chance qui ne s'est jamais présentée d'enfin comprendre, endurer le manque et sentir ma tendresse par avant

 

La plaquette que j'achève à demi ce soir - manquent le titre définitif, peut-être, et le courage d'enlever certains poèmes - est comme une prise de congé intermédiaire : aux désirs qui, maintenant, ne sont plus verts et brûlent sans fumée, et à l'indistinction de ma violence. De ce qui reste - et il en reste - il y a fort à faire.

Le geste de la faire lire, même à ses premiers destinataires, vaut pour un don et non comme un adieu ; c'est étrange.  

 

Il faut aussi continuer à se débattre dans, contre ou avec ce corps que j'ai rendu dangereux et qui, pourtant, n'est pas lui-même malade. (Il continue donc à me dire quelque chose, à se refuser mis à l'index - surtout, il s'adresse à vous sans passer par moi ; et ce dédain aussi me fait souffrir.)

 

La mise en voix de cet incipit de l'Amant m'est un désastre. Même le mieux d'aujourd'hui ne change pas mon impression première : au contraire des "Vaincus", par quoi je triomphais, c'est ici ma déroute dans laquelle je m'obstine, et je veux toujours cracher ces phrases-là, les évacuer, et non pas les donner. Je me dis que c'est un cadeau, de la sorte de ceux que je ne fais jamais : faire voir la grande pénibilité de certaines choses, au mépris de ce qu'elles acquièrent alors de pénible pour mes destinataires. Je pense à ces exercices où nous nous laissions tomber depuis un banc, debout, les bras le long du corps, et la chute était rattrapée par quatre bras tendus dans leurs manches de kimonos. De vous je voudrais dire que vous êtes mes partenaires. 

 

D'une manière générale, l'envie de pleurer ne me lâche pas depuis samedi dernier. Tout me dépasse. 

J'ai trop d'amour et je le livre trop. 

Et j'aime, même si cela concourt à mon dépassement, qu'il subsiste aussi, aux Poissons, tant de secret, de mystères que nous ne désirons pas de mettre en pleine lumière. 

 


 

 

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L. M.

La scène de Voix, septembre 2009 - à gauche, la Plante ;

au fond, notre bibliothèque improvisée ; partout, notre

place. 


25/01/2014
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Journal de correction du Pont d'Anvers - 3

"Journal partiel", 14.12.13

 

[...]

Il m'est désormais impossible de travailler aux Lettres, et je ne vois pas comment les conditions pourraient se trouver à nouveau réunies pour que je les écrive à la fois juste et bien. (La nécessité de commencer autre chose provoque un léger enthousiasme de bonne augure, et ne pas savoir où attaquer pour cela ne m'effraie pas encore.)

Il n'y a plus de subtilité dans mon rapport à R. : mes rapports avec lui se trouvent tout à coup (sont tout à coup censés être) réduits à mon sentiment pour lui, et ce sentiment est un gros noyau d'amour en deuil.

Me guettent pareillement, si je m'obstine, l'aphonie et le lyrisme. Inutile d'évoquer outre mesure le sujet de l'incapacité à écrire ; en ce qui concerne le lyrisme : à quoi bon dire que j'ai « le cœur brisé » : ça ne touchera guère, et encore, pas violemment du tout, que ceux qui savent que je n'écris jamais des choses pareilles... Dit très rapidement : le chagrin d'amour, comme l'amour heureux, me semblent des questions littéraires vulgaires (les « bons sentiments ») – traiter d'elles uniquement, à moins d'inventer ou de réinventer une esthétique idoine, me semble fatalement promis à être médiocre. (Et si j'écrivais pour le Pont d'Anvers, il ne s'agirait que de cela sur des pages et des pages.)

On écrit d'amour, d'une certaine sorte d'amour, mais on n'écrit pas l'amour : il n'y a possibilité de justesse, de pudeur et de qualité qu'avec une quelconque forme de recul, et là où le sentiment n'est pas brut ni d'un seul tenant. Je découvre, a contrario, pourquoi je n'ai jamais réussi non plus à rendre justice de cette façon-ci – par l'écriture – à l'amour comblé et/ou exclusif. Il faut qu'il y ait une forme de tension, et qu'on accepte de la voir et d'en faire quelque chose : ainsi le regard un peu malveillant que les autres posent parfois sur mes relations n'a-t-il plus été suffisant pour créer un champ, un angle d'attaque, depuis le moment où mes rapports avec Daliss ont commencé à s'étioler ; c'est à ce moment que cette manière d'être scrutés a cessé de m'être une fierté, une source d'orgueil (et que fierté et orgueil ont fini d'être un motif d'écriture). Ni Guillaume, ni Antonia, ni Quentin (quoi qu'il y ait quelque chose à creuser avec lui, mais, depuis avril, je ne sais plus comment m'y prendre) ne savent s'écrire convenablement. Pour R., il fallait déjà louvoyer : maintenant, c'est fichu. (Reste à m'éviter cette certaine panique qui pourrait finir par poindre à cause de mon silence  mais on n'en est pas là.) 

Le désir, c'est autre chose ; il y a toujours quelque chose qui y échappe, de l'inconnu ; c'est un pan intéressant en soi.

Peut-être aussi l'écriture garde-t-elle pour moi un but de séduction. Je ne peux plus écrire à R. parce que je ne me donne plus le droit de l'attacher à moi.  Il est possible que je fasse le mauvais choix, en refusant maintenant d'exercer un pouvoir actif sur nous, alors que je ne peux me défaire de l'idée qu'un jour, etc. Il serait plus sain de m'avouer que je garde cette posture d'attente et de rendre cela visible, au lieu de porter silencieusement (donc seule) mes grands espoirs. Mais, comparée à celle d'avant juin, l'attente a changé de nature, et je n'arrive pas à m'y retrouver ; puis elle est dissimulée sous la détresse – sans compter que je me refuse par principe, et c'est heureux, à faire quoi que ce soit pour la simple et unique raison que c'est sain.  

Et peut-être s'agit-il, au fond, de cette alternative parole contre acte ou même écriture contre parole, révélée par R. (justement), et face à laquelle je ne sais pas comment me placer. Ecrire mieux que je ne parle, et mieux que je n'agis (même écrivant mal, il me semble que ce ne serait pas difficile de faire mieux ma preuve par là que directement confrontée à l'autre), peut-être que ça me semble être laid. (Mais alors, s'il faut réussir sa vie pour s'autoriser à écrire...)

[...]

 


Le précédent

 


13/12/2013
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"Naming is taming"

 

24.10.13

 

" [...] A. disait juste, je ne parle pas de moi, je ne sais pas parler de moi autrement qu'après-coup, je me suis laissée déborder en Russie et depuis plus moyen d'inverser la tendance, c'est l'embâcle perpétuelle, j'ai toujours à dire et plus le bonheur d'y parvenir juste à temps, il y a longtemps que l'écriture ne me recouvre plus tout entière, alors la parole !..."

(septembre 2013)

 

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La parole a rattrapé l'écriture depuis, et de loin. A qui écoute, écoute vraiment, ça y est, je parle. Cette propreté à l'intérieur, c'est peut-être cela déjà : une voix chaude ou des gestes qui disent pouvoir entendre, et qui creusent sans cesse vers le nœud. L'exhumation se fait à tête ouverte (à mon corps défendant), et je ne suturerai plus. 

Le nœud, c'est un point aveugle qui tient en un mot (machine/organique, mort vivante, gâchis, pénible, amour). C'est un kyste - M. G parlant de l'ablatif absolu : "sans antécédent dans le reste de la phrase, autonome, avec des lois propres : c'est comme un kyste". C'est un caillou pris en soi une fois pour toutes, un poids mort, et, ici, imperméable jusqu'au raisonnement. 

Il faut oublier que je fais un bruit de grelot, un beau bruit de grelot fêlé. (Et non, on n'apprivoise pas juste en nommant : quand je nomme, je pleure, je contemple ou, au mieux, je tisse, en fait de raisonnements, de petites toiles abstraites.)

 

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R. me montre l'envers ; me contredit avec des mots ; me reprend sur mes "j'essaie" et me dit : "fais", "travaille". 

R. sait toujours se dire avec justesse. Il a tant l'habitude de sa parole en papier calque que, lorsque tout à coup elle ne convient pas, il rue. Il ne trouve pas de charme à mes difficultés en la matière, et se moque : "Alors je sais que tu dois d'abord ressasser, ruminer, analyser, retourner et digérer avant de dire quelque chose mais là, [démerde-toi]". 

R. est têtu. 

Il attend de voir. Si ce qui sort est un kyste - il le découvre tôt ou tard, et souvent plus tôt que tard -, il me contredit.  Et si la contradiction est maladroite, je ne renâcle pas : j'explique, je raisonne, je traduis, j'étaie, je fais des liens (et c'est justement ce qui manque : des liens de cause à conséquences, des liens d'identité entre le kyste et le corps). Si, au contraire, je parviens à une idée cohérente, il tire son chapeau à la justesse - et, tout de même, pousse plus loin, par principe, par curiosité intellectuelle et vers moi dirigée. Bel accord maïeutique. 

Le fait est que ces bâtons rompus sur à peu près tout portent leurs fruits (avec un peu de recul, le moyen semble assez précaire pour que j'assume cette métaphore). Quand j'y repense par après, le kyste est devenu un gros nœud de ce fameux fil ciré rouge, un nœud bien desserré. 

 

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Je ne renie pas, oh non, le langage du geste - ce revers de la parole. 

(Comme il me tarde...!)

 

 

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L'écriture reste à la traîne. Peut-être attend-t-elle simplement le dénouement, dans tous les sens du terme. 


25/10/2013
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