8. Autoportrait en ours blanc
J'ai le visage de l'hiver ; mon visage ne cache pas sa misère, il la porte haut. J'ai la peau de la Pologne, très claire et fine, par endroits asséchée par les grains de beauté et les taches de rousseur. Si mon nom est Brun, c'est pour cette couleur mate de la syllabe autant que de la peau. J'ai la peau de l'hiver en Pologne, de la fatigue dans l'hiver en Pologne, de la pauvreté dans le froid en Pologne, qui ramifie autour des pupilles les dessins bleus des iris, les cils sombres de plante vénéneuse inconnue, les cernes rougeâtres et les rides de jeunesse. C'est grave, ce visage-ci, je ne souris pas quand je le regarde.
Dans l'histoire, l'ours s'appelle Brun, et il est balourd, naïf, affamé et bête. Renart lui broie le museau dans un tronc d'arbre où il n'y a, évidemment, pas de miel ; une fois enlevés les coins posés par les bûcherons, l'arbre se referme sur le long nez de Brun. On dit aujourd'hui des solitaires qu'ils sont des ours. Le Chat est un ours, mais il n'est pas brun. Il a sur le ventre le pelage blanc des ours polaires, et il en a la lourde patte confortable et violente. Le Chat a, lui aussi, tous les jours, la couleur cachée de l'hiver.
J'ai une conscience exacerbée du Chat. De lui, C. dit : il a de la chance, il est sûr que tu l'aimeras jusqu'au bout. C'est peu de dire que je l'aime ; ma vie tient à la sienne. C. dit vrai : de tous les compagnonnages, si rares, c'est le plus pur – non pas parce que le Chat est stupide et immuable, et somme toute une relation simple, mais parce que nous nous sommes faits l'un avec l'autre. Je l'ai pris chez moi si tôt que je porte l'entière responsabilité de son existence ; la difficulté de son caractère est le miroir de mes obligations et de mes choix ; le renier, même un peu, m'est impossible.