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1. L'autoportrait

D'où vient que l'on ait du mal à « incarner son visage » ?

Le corps visible dans le miroir est comme un déguisement. On me l'a donné, j'en hérite sans pouvoir en changer ; il a l'air d'avoir été arbitrairement choisi, et de s'être ensuite, simplement, habitué à ma taille. Mais puisque c'est sur moi que le choix s'est fait, puis affiné, le dehors a tout à voir avec le dedans, la surface est le miroir d'une partie du fond.



L'autoportrait tel que, d'instinct, je le pratique, débusque ce que Paule sait du corps, le pourquoi de ce qu'il est. C'est un travail de Paule ; elle ne tient, elle, qu'à sa perpétuelle enquête sur nous, et je ne comprimerai pas son espace. De ce « nous » bifrons, elle observe le tronc commun, qui est surtout ce corps que nous partageons et les gestes décisifs qu'il fait avec lui. « Je » est donc bien Paule.

Il se lit, j'imagine, dans une sorte de stupéfaction ; c'est une nébuleuse de sens qui, toujours, passait jusque là inaperçue. Et là où il y a une signification, souvent, il n'y a pas de légèreté possible. Pourquoi crois-tu que j'aie l'air si amène : moi aussi, j'oublie, à trop me voir, et trop peu toujours. Mon visage, tu le vois familièrement, et mon corps t'appartient aussi un peu, tu le fixes ; tu captes de moi une apparence aimable et tu t'y fais ta place. Regarde X., avec ses tics faciaux qu'il arrive à certains de ne pas remarquer : je n'ai même pas cela pour me raconter à toi sans y prendre garde. Tu as raison, d'ailleurs, de ne pas interpréter la surface ; il te manque de quoi interpréter justement, puis ce n'est pas ton travail. Je préfère que tu te loges à ton aise sans faire le plongeon à l'intérieur. Soyons gais ensemble, plutôt.



Il me faut, pour écrire un nouvel autoportrait, une traque longue et ardue : c'est un jeu de regard. Le secret n'a pas l'habitude d'être pénétré. Je m'assieds en tailleur sur le tabouret de piano en velours vert, devant la glace, à plusieurs reprises, parfois près, parfois loin, parfois vêtue et parfois nue, parfois immobile, tournant parfois, et parfois fumant, comme lorsque je me dessine. 

 



15/05/2013
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