5. Histoires de famille
Chez nous, les yeux sont des possessions héréditaires. Aux repas de famille, trente yeux bleus s'alignent ; c'est une frise qui, si je ne m'y étais pas habituée, me semblerait inquiétante. Je préfère depuis longtemps les regards foncés, ceux qui ne vous happent pas. Du côté polonais, ils sont d'un bleu à la fois vif et clair, comme de l'antigel dilué. Ils ont plus de sens que ceux de la campagne d'ici, qui deviennent de plus en plus gris et unis avec l'âge. Contre ce bleu de ciel lourd juste avant l'orage, il y a celui de la chaleur maintenue dans l'hiver ; je préfère l'hiver. J'ai hérité du côté où les yeux prennent la couleur des galets mouillés.
La principale inhibition de l'autoportrait est cette photographie de ma mère à vingt ans. (Passons outre.)
J'ai : les cheveux moins bouclés que ma mère, moins cascade que ceux de ma sœur ; le profil, paraît-il, de mon arrière-grand-tante ; la corpulence de la lignée de ma mère, nous sommes massives ; les doigts courts et épais de mon père ; les seins plus gros que ceux de ma mère et plus petits que ceux de ma sœur ; les problèmes de circulation sanguine de tout le monde ; la caféine, le tabac et la littérature de ma tante paternelle, la nervosité de ma grand-mère, la ville et les trains de ma grand-tante Madeleine et la cuisine de mon père et de la Babcia.
J'ai : un mètre cinquante-sept et de petits pieds, une unique mèche de cheveux blancs, une marque de naissance, d'absurdes compliments hasardeux pour réunir tous mes détails, un rire, un langage de gestes, des dysfonctionnements physiques particuliers, un état-civil surnuméraire.