p-b

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La fin peut-être du kaléthéidoscope

C'est fou

que devant soi autour de soi

les fenêtres changent

et avec elles

tout

Les fenêtres passent au rythme dépouillé

des départs

Un jour on a bu l'eau des pluies sur elles et

on ne se

souvient

plus et --

          Ces fines lignes noires fabriquées par la ville

         le roucoulement des jardins suspendus

                  De tout cela

         et des enfances noires et vertes

                  il ne reste plus

                  que la rouille

                  et les pivoines qui claquent au vent

Je dis je me souviens mais

je n'ai rien saisi

la vue ni rien

la couleur des carreaux

ni rien

[...]

                    Je me souviens même avoir étiré la couleur des pivoines

                    Il n'y a pas de photographie qui tienne

[...]

Boire au lait du monde

qu'on croit être ce

silence doré des jardins suspendus

des carreaux et des lignes de lumière

et qui n'est jamais que

la mousse des jardins

la nuit entre les lignes

l'opacité mille fois grossie du carreau

                    Le monde et les fenêtres jouent ensemble aux ombres chinoises

                    à la frontière juste et toujours menacée du jour

Tous mes déserts

derrière les fenêtres la nuit

derrière les fenêtres qu'un jour on ne possède plus pour soi

                    ailleurs après

Silence parmi les fenêtres

Je n'ai plus honte qu'à moitié de trop avoir

d'avoir ce

luxe d'images

          pacotille chérie dont je me

          souviens

          mal

[...]

Borgne la maison

à une fenêtre et l'autre close

Paupière qui dort ou 

c'est le refus qui lui a fait fermer les écoutilles

le refus des voies

et tout de même l'eau s'est fait

dedans au-dedans

          Les fenêtres dont on n'a jamais cru qu'elles étaient étanches

                  pour les doubler d'autre chose

         ont transpiré la pluie dedans

                  d'abord on l'a pu suivre puis

                  les chemins dans la buée se sont bus

                  et la peau aussi s'est trempée d'une

                  pellicule de fin du monde

[...]

 

Tout parle et je ne sais plus rien des fenêtres plus que le trouble

         le même

         en quoi bien sûr je me ressemble

                  parce que je

                  préfère

C'est une histoire toujours

de vent sur l'eau

qui pousse au temps

qui s'abat et qui fond

et je parle

cette voix-là à chaque heure

indistincte et réelle

qui tout entière se colle aux carreaux et crie aux vitres froides

 

Tout ce qui file

 

"Kaléthéidoscope"

Février-août 2012

 


 

Je me défausse – de cette peur derrière le kaléidoscope de l'oubli et du passage des lieux à d'autres, et de cette ancienne certitude, aussi, que mon amour d'eux les laissera mal aimés par d'autres.

Des enfants jouaient de quatre à six heures dans cette cour que je trouvais belle. Cachés par d'invisibles soupentes, les pigeons étaient à la fête. Doré, tout cela, par le départ, la mélancolie des lieux, la terreur derrière qui semble, ensuite, les avoir épargnés, mais je mentais quand je les disais immunisés contre elle et ils étaient imbibés d'elle comme les murs blancs s'étaient jaunis de tabac, froissés de moi comme le linoléum mal posé s'était rétracté par plis au centre de la pièce. Premier lieu premier amour. Je reste persuadée que personne n'y habite aujourd'hui, que personne n'en a voulu, que son charme était trop difficile.

Patiemment, je me défausse.

 

Tout ce que je vois aujourd'hui du lieu où j'habite, c'est que j'y ai écrit cette histoire de la pénibilité, du fil rouge et des voix dans les fenêtres. J'y suis encore sourde ; le préavis ne m'atteint pas. Je sentais mieux ces choses – les lignes du parking, qui vous auront zébrés – dans mon engourdissement de ne plus parvenir à écrire, quand j'étais douloureuse.

Sans doute il s'écrira d'autres lumières semblables, devant d'autres carreaux momentanément miens, et pour ce lieu-ci tout autant que pour les autres. Il y aura aussi des poèmes fleuves pour la pluie, les tempêtes et les ressacs, les dorures de fin d'après-midi et de nuits chaudes.

D'autres poèmes fleuves dorment là, peut-être dans le petit interstice que j'imagine au double-vitrage d'ici, et ailleurs aussi, dans ce que je ne distingue pas encore.  (Je crois que j'ai fait le deuil de cette image de la mauvaiseté qu'est l'eau qui dort.)



28/05/2013
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