"Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme" - Apll
Ce qui se produit en réalité, c'est une remise au point. (Si j'accepte de prendre, comme moyen de comparaison, les bribes qui me reviennent des phrases auparavant écrites, je sors un peu du flou et de l'impression que tout est naturel.) Tu m'interdis ce que, de la légende, j'avais pu, sans le vouloir, rendre froid – ou, plutôt, ce que je n'avais pas su aviver, dans ma réinvention.
Certaines vues se corrigent. En redevenant ce jeune chien fou qu'au moment de remonter dans le train je me sens être tout à fait, moi aussi, tu as comme désappris la vraie morsure, et tes belles canines ne servent plus que pour le jeu. Je ne peux plus te dire invivable – sophiste intransigeant, manqueur de rendez-vous, ambigu m'approchant.
Dans ton armoire, il y a le grand K-way noir du surgissement.
Je mens en ne parlant de rendez-vous qu'en passant, en commençant par dire autre chose ; je me souviens des appels muets de ne pas y croire et écrits tout de même et tout se produirait, à présent, dans les mêmes termes qui étaient ceux du désir affolé – même ce « Rends-moi ma ville que je quitte » à moitié pensé seulement, formulé pour la forme. Les Noces blanches ont trouvé leur chemin à elles, celui entre mille champs possibles dont ceux-ci seuls étaient, semble-t-il, les bons.
Je n'échangerais pas ton corps d'aujourd'hui contre l'ancienne presque minceur que tu regrettes, même me souvenant ce bel et infime arrondi du ventre sur quoi la chemise, immanquablement, s'ouvrait – c'était une petite magie à façon, déjà, pourtant, pouvoir toujours, à foison, poser la paume sur le même ventre. Je ne retrouve pas mes signes secrets, ni cette forme-ci ni les boucles brunes (l'ineffable). Et je te convaincrais bien, moi, que pourtant il n'y a pas de perte.
Il y a, je te dis, des mouvements que tu fais sans le savoir, des postures irréfléchies de ton corps que je retrouve. Un silence. Tu réponds : ne me dis pas lesquels.
Tout est ri, sauf une chose, que je n'avais pas même écrite et qui pourtant me dépasse assez pour qu'elle ait dû trouver sa place dans ces lettres, tout est ri, et par moi aussi, de bon cœur, sauf l'image manquante : il y a : m'allonger le long de toi, dans une chambre d'été, ma joue creusant ta peau à sa mesure, la peau de ton épaule, et surtout reposer, alors, mon bras, de tout son poids que tu dis minuscule, sur ce poitrail-ci, aujourd'hui plus beau encore de soulever tant mon bras, de toute son épaisseur, les doigts contre, à l'encolure, cette toison devenue depuis longtemps l'un des fétiches innocents et perdus, et ça, ça, c'est tout.
Je me recristallise là où tu ne le soupçonnes pas, à l'endroit sans danger dont nous ne parlerons pas, au geste que tu ne sais pas être le tien.
Le reste s'éclate en rires vers l'enfance. C'est au point que ce terrain étranger et nommé sans tendresse trouve tout à coup son sens. D'ailleurs tu dis « Gamine », comme un second prénom, et « sale gosse », quand je t'ai eu par surprise – ou « saleté », comme à un événement ou à un animal : je fais partie des frères de lait. Je peux même oser l'impensable, me parjurer : répondre « Magicien » à certain moment de calme – tu te moques.
Je ne suis projetée en-dedans que par ce moment-ci de la nuit où, épuisée, je peux m'endormir là, et où remonte mon respect sacré, et ce qui est advenu de ma terreur d'amour.
Mais qu'est-ce qui nous importe là-dedans, au juste ? Qu'est-ce que je voudrais dire, exactement ? J'ai l'impression que nous ne formulons l'un et l'autre que des détails, que nous effleurons l'essentiel de l'intérieur, que la joie se fractionne – « éclats », le premier titre – en paillettes dont il ne suffit pas qu'elles ne soient plus des pacotilles.
Le deuxième titre trouvé était juste, lui aussi : « les amours négatives » - rebroussant chemin à partir de la fin, les nuances apparaissent par l'envers, la tapisserie se retourne en se défilant. Et cela ne va que jusqu'à l'acmé irréductible qu'est la jubilation du début, puisque nous avons manqué, quelque part, l'occasion de tout oublier, d'achever définitivement la ligne du temps et la couleur.
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