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Kaléidoscopes

13.02.13

 

J'aime ce jeu qu'est la recherche d'appartement - jeu de l'imagination, puis jeu au sens mécanique du terme (une fois n'est pas coutume), entre les différentes possibilités. Pendant un très court instant, quelques jours tout au plus, je ne sais pas à quoi ressemblera la projection de moi qu'est le foyer, je prends plaisir à ne rien fixer, à me représenter vivant çà ou là, à sentir cette belle dérive ; elle est belle parce qu'elle ne tient pas qu'à moi, mais bien plutôt à ce grand mérite des lieux que j'imagine ou visite d'être vivables. 

Il faut toujours rendre justice au lieux, comme il faut toujours rendre justice à l'autre. 

 

Il y a trop à écrire. Je me laisse couler - cette manière de se définir une fois pour toute que j'aime à éviter, pour une fois, dans ma quête d'un lieu, est sans doute, pour moi, le principal écueil de l'écriture ; je n'écris donc pas, depuis une semaine que tout se précipite. 

Et tout ce qui pourtant me reste au bord des lèvres ! La vérité, c'est que pour être à la hauteur de tout cela, tout cela qui survient, il faudrait prendre des notes en permanence ; mais j'ai peur d'être ce touriste imbécile qui, au lieu de jouir du lieu, au lieu de laisser l'événement se produire, prend des photographies. J'avais l'obsession, dans la liesse de ces derniers feux-là, de ce qui me resterait, des détails que je n'oublierais pas, et que je ne savais pas reconnaître comme ceux qui survivraient à l'instant. Je n'ai pas sorti mon carnet une seule fois. 

J'ai écrit ailleurs, et pour R. aussi, vouloir me perdre dans le flou, et pourtant ça n'est plus la même chose. Je sanglote même pareillement, et le sanglot concentre toujours la même chose infiniment pure que Fouad et moi nommions franchement "émotion" ; ce que nous entendions par là, c'était l'intensité de ce qui nous remuait ("Rührung"). Oh cette époque où il nous suffisait de vivre fort, où nous ne désirions que de vivre à la limite de nos capacités en la matière, où par le corps - le tremblement, les sanglots, la nausée - nous ne cherchions pas moins qu'une forme d'absolu. Et je n'en suis plus là, puisqu'il s'agit uniquement de partir en sachant où je vais et ce que, pour cela, je quitte. 

(J'ai cristallisé ailleurs, avec Fouad aussi, je cristallise ailleurs, c'est cette même loi de la bataille de Marathon. Ce dont tu te souviens n'est pas, à mon sens, le plus important, et tu oublies au contraire ce qui fait que je t'aime toujours. Le mérite de Fouad, c'est de me montrer que la réciproque est vraie : qu'il y a chez moi quelque chose qui lui manque et que j'ai laissé sans remords - que cette chaleur incroyable et dense de la rue du Marché et de celle de Zürich que plus rien ne m'offre depuis n'est pas l'unique moment plein de notre longue relation et qu'il tient, lui, à autre chose. Si le diable est dans les détails, Dieu doit être dans les réciproques.)

 

Il y a cet appartement dont je vois d'ici la fenêtre, de l'autre côté de la rue, celui de la Robertsau (beaux paysages), celui de cette rue où malgré tout rien, je crois, ne se sera passé, et tous ceux qui, dans les jours prochains, sortiront tout à coup de l'indistinction urbaine. Il y a des promesses : celles dont je choisis de ne pas tenir compte, docile que je suis, et celle que je choisis de prendre à la lettre, par amour pour vous. 



14/02/2014
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