1904-1919, cent ans, trois cent cartouches,
sept femmes et des dents de lait
Sous ce titre énigmatique, le résidu non professionnel de mes recherches de ces derniers jours dans le Manuscrit trouvé dans un chapeau.
11.05.13
« La bielle, les pistons, les cylindres, tout cela fait un joyeux bruit de désastre, et pourtant, en cette machine à gueule rouge, tout n'est qu'ordre et harmonie.
Elle peut m'écraser, mais elle est notre esclave ; méprisons sa puissance.
L'homme s'est accroupi devant le monstre, merveilleux ouvrage des artisans muets. Il tremble en écoutant le tic-tac formidable de l'insensible cœur.
[…]
Un craquement affreux.
De quel démon a-t-on disloqué la carcasse ? La machine s'arrête. L'homme, ruisselant d'un sang noir, désajuste toutes les pièces et il danse sur un rythme impair.
Il faut qu'on sache que, s'il veut démonter les pistons, les cylindres, il s'aperçoit que son propre cœur ne bat plus depuis que la machine s'est tue et que ses entrailles, ses poumons, ses nerfs, ses muscles, c'est tout cela ces pièces de mécaniques alignées dans la chambre de chauffe, instruments merveilleux que l'apprenti sorcier, châtié enfin, désespère de pouvoir rendre à leur destin stupide et magnifique.
[…]
Sur le pont, des marins aux pieds fourchus carguent les voiles, délivrés de l'obsession de la machine, et, sur un golfe de fluide plasma, ils naviguent vers l'aurore foudroyante en pêchant des monstres de bon conseil.
Caché au haut du plus haut mât, un mousse de cent ans joue de la flûte pour apprivoiser les étoiles filantes. »
André Salmon, « Châtiment » (extraits), in Le Manuscrit trouvé dans un chapeau.
Je fige le texte dans une vue en coupe : la machine à vapeur monstrueuse agonisant en cale, la légion d'aventuriers regardant vers le large et Orphée grimpé parler aux astres. (Le rôle de "monstres de bon conseil" reste à pourvoir ; marins (dans la mesure où ce ne sont pas des monstres marins adoptés déjà), étoile, apprenti-sorcier et mousse charmeur de cordages existent ici-maintenant.) L'apparente progression du texte me semble, à moi, un cycle : des « étoiles filantes », ailleurs appelées « pluies d'astres », on en vient au « désastre » sonore sur quoi le poème s'ouvre. Je garde ma lecture pour moi.
C'est un beau tableau et je vous prive d'autres renversements intermédiaires, dont celui des enfants libérés de leurs laisses et qui « [se suspendent] à la façon de jeunes singes criards aux échelles de corde ».