"[...] que me veux-tu ? L'automne [...]" - Verlaine
28.08.13
Dépendaison de crémaillère - 4h30
Ma vie se divise aussi bien par les lieux et les textes qu'elle se compte en amours. (Je n'ai jamais voulu de cette chronologie.) J'ai plus l'angoisse de la perte – et la douleur d'elle – là où s'achève le lieu dans lequel dire et sentir, irrévocablement, qu'au moment de s'arracher à l'autre. [Exceptés...]
L'unité est celle de l'endroit avec lequel je vous perds tous.
La mise à nu et la couardise et l'échec me sont plus visibles au moment de quitter le lieu.
Retrouver R., je me disais, ça n'est pas tant, comme disait H., me venger du temps que me venger de moi-même.
Partir, c'est toujours me renier, faire le sacrilège ultime : manquer à ma parole, celle donnée à moi-même sans mots, celle de l'éternel retour. Non, je ne reviendrais pas avant, à l'avant d'un autre corps, d'un seul seul corps autre, mais je reviendrais habiter la maison d'hier, comme je reviendrais reprendre le texte d'hier.
Voilà qui devra changer, pour ce qui est d'écrire – terminer les Lettres, que le point soit plus final que contrepoint, changer ma vie et le sens avec elle – et qui, sans doute, laissera infrangible le lieu l'amour. (C'est posé ; surprends-toi, maintenant, Paule.) J'imagine pouvoir quitter un texte : les Lettres, le Soupçon, L'Autoportrait nu. Le lieu me dépasse, même en esprit.
Je fuis plus en déménageant qu'en rompant ; je me trahis plus, puisque je trahis tout à la fois.
On ne retrouve pas l'appartement que l'on rend.
R. parie pouvoir me donner Lyon, à nouveau ; s'il a la force de se relever, il peut bien faire advenir encore ce terrassement par la ville, le premier ; et ce serait comme un ressuscitement ; mais je mourrais de rendre visite à quelqu'un d'autre habitant là, précisément là. Je m'enroulerais plutôt par terre pour y hiberner mille ans. (Je pense cette prostration conjointe du corps et de l'esprit, l'impossibilité à passer certaine limite, la cessation longue d'être soi devant le trop insupportable.) De même ces trois chambres universitaires et ces deux appartements me sont-ils fermés, et je suis leur porte close.
Le temps qui passe (et je pleure) a un espace, il n'a pas de corps ; les corps se retrouvent, ne serait-ce qu'en désir. [Exceptés...] L'amour ne devient pas brutalement néant, il reste ou se reforme, dans la durée, une allégeance à l'autre ; dans une ville, les lieux ne perdurent pas, n'attendent pas, ne se laissent plus voir ni désirer ni représenter, ils sont clos quand on n'en a plus les clés. Je trouve à nouveau le chemin de vous, pas celui de nos lieux.
Aussi fais-je bien de me prosterner devant le lieu au moment où il existe encore (cette après-midi de bascule à fumer dans l'angoisse sur le pavé froid).
Dans la salle de bain, la goutte de sang éclatée sur le carrelage est restée un an. C'est à elle que j'ai fait mes adieux – déjà, je ne connaissais plus P.
A l'écrire, j'ai fait, aussi, mon adieu aux gestes : plus jamais le café dans cette cuisine la nuit pendant leurs souffles, disais-je, et, en fait, plus de ce cortège d'amour pour P., plus de cette habitude de F.
Et voilà, c'est évidemment le geste que j'abandonne, celui qui me colle trop près. Voilà l'évidence : quitter le lieu, quitter la construction et l'habitude, et, plus, la capacité de garder ses fantômes quotidiens, fantômes de personnes ou, surtout, de jours.
Je fais moins table rase de toi en te quittant qu'en emménageant ailleurs, même avec toi.
Épanadiplose : quatre heures du matin, café. (Sous cet angle, mâchoire, cheveux et sourcils, étranges, c'est Schiele.)
Plause. Pause.
Pose.
Ose.
Plause, pause, Paule, pôle.
Décentrons.
Hardi, hardi petit.
Tous, je meurs à vous ici, et avec vous meurs à moi.
Tu avais raison : le sacrilège est là.