Polarités
Que c'est étrange, le nid que l'on se choisit soi-même dans l'espace habitable.
(J'aime les recoins. Mon poste, aux Poissons, est le plus étrangement choisi : non pas celui qui s'adosse au côté de l'entrée, qui surplombe en étant caché (devant les plans, lorsque nous n'habitions pas encore ici, je m'imaginais que ce serait cet endroit-ci), mais celui de la diagonale, plus exposé, mis en repli par l'esprit et une bibliothèque seulement, contre la fenêtre qui ne me montre qu'un morceau tranquille de cette rue qui ressemble à une place, et non l'ouverture verticale de la flèche de grès rose.)
Dans l'appartement familier, qu'est-ce qui aimante ?
Cas 1 : la force d'attraction change, la polarisation aussi. Ce sont les grands mouvements très visibles de changements de meubles. J'ai détesté D. de m'avoir imposé, rue Boileau, une migration si énorme du lit. Je ne sais pas changer l'esprit des lieux ; c'est ma manière d'être sentimentale. (Qu'on m'apprenne donc à l'être autrement.)
Cas 2 : la force d'attraction demeure, la polarisation change. Boulevard Wilson, j'inventais des vocations aux stations assises selon leur endroit précis ; je circulais autour de la grande table, sans explication possible. Je brûlais soudain de m'asseoir à telle ou telle place. L'activité que je m'imaginais y exercer variait d'un mois sur l'autre. Certains quarts de coins de table pouvaient rester en souffrance des mois durant, enterrés sous les strates d'objets ou de paperasses délaissées.
Cas 3 : la force d'attraction change, la polarisation demeure. Aujourd'hui, malgré les dangers du chauffage au gaz, nous avons osé allumer les radiateurs. Celui contre la fenêtre chauffe sacrément et ce n'est plus le courant d'air froid qui me tient compagnie lorsque je m'assieds au même endroit. Je tâte la température du bout de ma chaussette droite. Qui sait ce que l'hiver va me faire de cet endroit-ci.
Cas 4 : la force d'attraction ni la polarisation ne varient. C'est la marque du transitoire bien vécu - Banvillars, Réchésy.
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