Le garçon devant son ombre
A l'instant : « et malgré tout je ne crois pas que tu te sois trompée de destinataire. »
Refusé à R. l'accès à ce blog ; nous tombons d'accord sur le fait que c'est un bien étrange honneur que je lui fais, d'être le seul à avoir sa place ici et qui n'y sois pas admis, formellement. Mais c'est que la fausseté règne, c'est le vautour autour du langage, et de l'écrit surtout. Je l'assume ; lui lit simplement, sans clés, et sans assez de repères. J'ai besoin d'un espace pour le mûrir.
Il répond que, justement, c'est là qu'il comptait trouver des clés.
Rémy fait profession de curiosité, et cette profession, comme toutes celles qu'il endosse, lui devient une seconde nature. Je sais cependant que dans mes textes, c'est mon regard sur lui qu'il traque ; il peut bien se permettre, je suis d'accord, de n'être pas objectif. A sa place (à sa place ! mais ce genre de choses n'arrive jamais !), le plus critique et réfléchi des lecteurs peinerait à prendre un ethos ; lui, non. La simplicité de son approche, depuis juin, me confond.
Au téléphone, je propose une solution incroyable, mais plus que tenable : lui envoyer ceux des textes à R. qui auront abouti. Et comme nous parlons de désir, trois heures plus tard, j'envoie à R. la dixième lettre vers lui écrite.
« Noces blanches » a trouvé destinataire. Le destinataire posé là-dessus ses yeux (ses cils noirs levés sur du noir), a lu, et n'a pas dédaigné l'offrande. (Quelle chance j'ai que ce que Barthes rapproche des cadeaux enfantins inutiles à la mère soit accepté ces temps-ci : la porcelaine grain de café dans son sachet de tissu, et le tutoiement dans l'écrit. C'est ma foi – mon feu – que l'on prend, que l'on prise.) C'est de l'inespéré pur et dur. Je chantonne Guerre guerre vente vent, que j'ai aux lèvres depuis quelques heures, avec des sortes de petits sanglots cette fois, et il ne me semble pas même que cela soit ridicule.
Puisque nous y sommes, pour cette lettre entre autres chocs, la chose est sûre : enfin nous y sommes, à égalité. (Je doutais tantôt de lui, tantôt de moi.) S'il n'y a jamais de pont dans ce mythe-ci, du moins nous avons jeté, pour une passerelle, un fil : et je le tiens. C'est si incroyable – fooormidable – que, justement, je n'y croirai jamais qu'à grand peine.
"Les fleurs d'hiver étaient belles guerre guerre vente vent"
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