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La jeunesse au miroir

La jeunesse mâche un miroir. La faim lui est venue et elle n'avait qu'un miroir en main, et l'a porté à sa bouche. Tout le temps qu'elle existe, la jeunesse aux dents dures broie le miroir qu'elle avait tenu dans sa main.

 

Le reflet est d'abord celui de gencives percées d'une dentition adulte.

 

La bouche a de l'instinct. Elle ne laisse pas passer cette nourriture-ci, que le ventre ne saurait pas supporter. Lorsqu'elle trouve de quoi remplir l'immense creux du désir dans le ventre, la jeunesse s'ouvre grand, et tombe d'elle un morceau de la glace. A chaque vertige, la béance se recrée, totale. L'éclat du miroir est au-dehors, minuscule, inutilisable, épuisé d'avoir fait son office, d'avoir été presque vivant.

 

Son broyage lent trompeur de faim lui a donné, par contagion, quelque chose du fantasme ; il a compris celui de la fixité. Dans sa fin de courbe, il capture, au hasard, un détail unique. Il y a les lèvres pleines et humides de cette fille, et ses épaules ; il y a la ligne noire d'un profil à contre-jour et la masse de boucles brunes ; il y a un œil au toit d'une maison bretonne et la couleur d'une forêt du Jura, qui est aussi celle du sirop de sapin ; il y a le mot « ravagé » pour un visage de trente ans, une main sur une hanche et le goût de noix du premier Marsala ; il y a un grand rideau rouge, l'image en surplomb d'un jardin sur un toit et des lignes de lumière sur un torse blond ; il y a le Chat grelottant enroulé dans une serviette jaune. Maurice Leblanc rêve une machine à développer la dernière image imprimée sur les yeux de la victime. Le miroir que la jeunesse échappe en ouvrant les lèvres fait cela, garde la vision, comme une rétine surexposée.

 

Le hasard de la prise est terrible.

 

La jeunesse ne sait plus qu'il y a un passé, et qu'elle y a tant porté cette glace au devant d'elle qu'elle est devenue, qu'elle a toujours été son regard. Le corps de la jeunesse, lui, n'a pas oublié ; l'organique est son affaire.

 

Dorénavant il peut y avoir reconnaissance ; dorénavant, la vraie violence du corps existe. 



26/10/2013
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