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Nouvelles Lettres bleues


La jeunesse au miroir

La jeunesse mâche un miroir. La faim lui est venue et elle n'avait qu'un miroir en main, et l'a porté à sa bouche. Tout le temps qu'elle existe, la jeunesse aux dents dures broie le miroir qu'elle avait tenu dans sa main.

 

Le reflet est d'abord celui de gencives percées d'une dentition adulte.

 

La bouche a de l'instinct. Elle ne laisse pas passer cette nourriture-ci, que le ventre ne saurait pas supporter. Lorsqu'elle trouve de quoi remplir l'immense creux du désir dans le ventre, la jeunesse s'ouvre grand, et tombe d'elle un morceau de la glace. A chaque vertige, la béance se recrée, totale. L'éclat du miroir est au-dehors, minuscule, inutilisable, épuisé d'avoir fait son office, d'avoir été presque vivant.

 

Son broyage lent trompeur de faim lui a donné, par contagion, quelque chose du fantasme ; il a compris celui de la fixité. Dans sa fin de courbe, il capture, au hasard, un détail unique. Il y a les lèvres pleines et humides de cette fille, et ses épaules ; il y a la ligne noire d'un profil à contre-jour et la masse de boucles brunes ; il y a un œil au toit d'une maison bretonne et la couleur d'une forêt du Jura, qui est aussi celle du sirop de sapin ; il y a le mot « ravagé » pour un visage de trente ans, une main sur une hanche et le goût de noix du premier Marsala ; il y a un grand rideau rouge, l'image en surplomb d'un jardin sur un toit et des lignes de lumière sur un torse blond ; il y a le Chat grelottant enroulé dans une serviette jaune. Maurice Leblanc rêve une machine à développer la dernière image imprimée sur les yeux de la victime. Le miroir que la jeunesse échappe en ouvrant les lèvres fait cela, garde la vision, comme une rétine surexposée.

 

Le hasard de la prise est terrible.

 

La jeunesse ne sait plus qu'il y a un passé, et qu'elle y a tant porté cette glace au devant d'elle qu'elle est devenue, qu'elle a toujours été son regard. Le corps de la jeunesse, lui, n'a pas oublié ; l'organique est son affaire.

 

Dorénavant il peut y avoir reconnaissance ; dorénavant, la vraie violence du corps existe. 


26/10/2013
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"C'est dans l'air comme un chant qui s'étrangle"

(Eiffel)

 

 

Les ombres rôdent puis

c'est aussi leur sommeil à l'orbe de ton poignet

dur comme ta paume est dure contre

la joue que je te tends

 

[...]


15/10/2013
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Pour la mauvaise peinture murale

15.09.13

 

Les grands barbares blancs

 

 

L'humidité peut-être a fait de la peinture

dessus le lavabo une terre brûlée, 

une Pangée seconde ; et les secondes durent

au milieu de la nuit nue écartelée --

 

De mes doigts lents, en douce, j'écaille le mur

de l'apparence diurne : tu es enlevé,

dansant de ta chair brune à ce grand rythme dur,

le tien sans mémoire, sous les plafonds crevés

 

d'un vernis inégal. Le salon a des airs

de Sud, si faux qu'ils en paraissent authentiques ;

et nous avons sous nos ongles bien découverts

 

un symbole invisible, et comment mérité ?

La sécheresse enfin, sous nos discours comiques,

vient nous faire la peau des risqueurs de l'été. 


17/09/2013
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aphone

Tu sais c'est

moi qui maintenant fume à la fenêtre

avec autour de mes pieds un gros chat qui s'y empêtre et cause

et à mon tour je ne peux pas t'imaginer mêmement

Alors c'est par moi que les

cartes postales de la nuit noire

solitaire sont écrites

Je connais ces choses et elles sont justes

 

Si tu finis par

cesser

d'être le Magicien ça ne sera

qu'une vérité de plus à ton allure de fauve

Ton danger sera autre et ton charme

comme chanté sur un autre air

mais ma gorge le reconnaît déjà

Fauve adulte

 

Et si ensuite

tu cesses d'être ce souffle fort

qui dans la nuit terrasse tout il restera

encore

ce tremblement qui en moi parlera

à la compagne des pas perdus

des années de friche

celle qui verse l'adoucissement

parce qu'elle connaît les maux et que nous sommes

nous sommes toi et Paule

de la même portée du même lit

quand nos dents

étaient petites et pointues sur nos mâchoires rouges

Et tu perceras encore les âges

 

Maintenant

 

N'aie crainte car

je suis ta maison celle

où tu peux dormir

Et je continue ta jeunesse

pétrie d'elle

comme dans l'air l'oranger et la brioche montent

je suis ton matin neuf

 

Il se trouvera encore provision de nuits semblables

où lancer mon regard

et mon cri d'oiseau attentif et

mon froissement d'élytres sur

la terre

odorante

[...]

Automne 2012


14/06/2013
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